Le message mystérieux-Episode 7 -Sortir dans Rome

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Le message mystérieux

Roman historique

Auteur : Paule Valois

La jeune Séléné est la fille de Cléopâtre VII, reine d’Egypte, et de Marc Antoine. Lorsque cette histoire commence, nous sommes en 29 av. J.-C. Séléné vit à Rome après le suicide de ses parents et doit participer au défilé du triomphe d’Octave, le futur empereur Auguste. C’est beaucoup d’humiliations mais aussi un message mystérieux donné par un inconnu. Elle le décrypte peu à peu. Mais qui en est l’auteur ? Après la mort d’un de ses frères Hélios, l’autre disparaît. Séléné, partie à sa recherche, découvre le culte d’Isis à Rome et les méandres politiques…

Ce roman, bien documenté, s’inspire d’événements historiques et de la vie réelle de Cléopâtre Séléné.

Paule Valois vous en offre la lecture en feuilleton.

Episode 7 – Sortir dans Rome

Séléné était estomaquée par la franchise et le ton si direct du médecin. Il avait compris ses craintes. Puis elle se reprit et, comme pour rejeter la peur, recommença à parler, très vite, du palais d’Alexandrie, de Cléopâtre.

Isopé, sans répondre, s’agenouilla alors près d’elle et se mit à réciter une prière spécialement destinée à Isis, considérée en Egypte comme la déesse épouse et mère par excellence. N’avait-elle pas cherché dans toute l’Egypte le corps découpé et dispersé de son époux, Osiris, tué par Seth, son frère et ennemi ? Elle avait finalement réussi, à force d’acharnement, à le reconstituer, lui permettant ainsi de vivre dans l’au-delà, comme on vit parmi les vivants, en utilisant un corps intact.

Séléné contemplait le crâne rasé du conseiller, à l’image des scribes égyptiens. C’était la première fois qu’elle voyait, à Rome, une personne qui osait montrer qu’il pratiquait le culte

d’Isis. Qui plus est dans la maison de la propre sœur d’Octave. Il releva la tête et murmura :

– Ma reine, tu es l’incarnation de la déesse Isis, comme ta mère Cléopâtre avant toi.

Séléné, effrayée, regarda autour d’elle. Isopé se mettait en danger. Si quelqu’un l’entendait, il risquait l’arrestation. Octave se méfiait des cultes orientaux. Charmion filait le lin, assise sur une chaise dans un coin de la pièce, mais Isopé ne paraissait pas s’en inquiéter. Séléné réfléchit un instant puis commença à entrevoir des passages secrets, des réalités qu’on lui avait cachées et que l’on tentait de lui révéler. Pour donner le change, elle fit mine d’avoir tout compris en hochant la tête, tout en songeant que bien des éléments lui manquaient encore. Elle répéta plusieurs fois, tout bas, et comme pour se mettre en accord avec le médecin :

– Je suis Isis.

Isopé, visiblement satisfait, commença à l’ausculter et lui conseilla de boire des tisanes d’herbes fortifiantes. Lorsqu’il se releva, il prit un air détaché et se tourna vers Charmion :

– Bonne nourrice, les herbes que je prescris sont rares à Rome ; tu iras les chercher dans la boutique d’apothicaire que nous connaissons. Sa Majesté la reine Séléné t’accompagnera. Rester enfermée dans cette propriété nuit à son état. Elle a besoin de sortir un peu.

Charmion hocha la tête en silence, fascinée par l’autorité d’Isopé, et reprit son travail. Il s’éclipsa après un dernier salut, en reculant vers la sortie, pour honorer la fille de Cléopâtre. Séléné dormit à peine cette nuit-là, épuisée par la chaleur et retournant dans sa tête les paroles d’Isopé. Cette « boutique que nous connaissons » avait-il dit. Il ne devait pas s’agir seulement d’une herboristerie où Charmion aurait très bien pu aller chercher les remèdes toute seule. Où Isopé lui demandait-il de se rendre et pour quoi faire ?

Au matin, sans mot dire, elle attendit que Charmion décidât du moment de leur sortie dans Rome. Elle s’était vêtue d’une robe de coton aux longs plis légers, de couleur rose, serrée sous la poitrine par une ceinture assortie et recouverte d’un manteau bleu. Les cheveux relevés pour former le chignon compliqué à la mode chez les matrones romaines, les yeux soulignés d’un léger trait de khôl, elle sortit de sa chambre et aspira une bouffée d’air. Un esclave d’Octavie qui passait lui jeta un regard étonné où elle lut l’erreur dans le choix de sa tenue. Jamais Charmion et elle ne pourraient quitter la maison sans faire preuve d’une grande discrétion. D’ailleurs celle-ci apparut, venant de l’atrium, et lui fit signe qu’elle renonçait à la promenade. Séléné n’était pas décidée à renoncer :

– Pourquoi ?

– Il est trop tôt. On se doute peut-être de quelque chose ici. Il vaut mieux attendre un jour ou deux.

– Qui « on » ? Octavie n’a pas le droit de m’empêcher de sortir de ce palais. Non, allons-y Charmion. Je veux me promener dans Rome et montrer ce qu’est une princesse d’Egypte. J’en ai le droit et j’ai hâte de redonner sa grandeur à l’image de ma mère !

– C’est une grande reine. L’histoire lui redonnera sa place.

– L’histoire ne m’incombe pas Charmion. D’autres s’en occuperont. Moi, j’ai mon rôle à jouer.

Charmion parut gênée, jeta un regard circulaire :

– Oui, tu as ton rôle à jouer ma reine, mais, justement, évitons de nous faire remarquer.

La nourrice cachait mal une crainte grandissante. Ses mains jouaient nerveusement avec les plis de sa robe. Séléné voulut la rassurer :

– Je n’ai pas peur de sortir.

– Tu as tort de ne pas avoir peur, après ce qui s’est passé

pendant le défilé !

– D’accord, j’ai peur, Charmion, je l’avoue. Mais justement, n’est-ce pas la peur qui doit nous grandir, nous mener à de grands actes ?

– Quels grands actes veux-tu accomplir princesse ? Serais-tu prête à devenir reine d’Egypte ?

– Non, ma nourrice, je ne me vois pas reine d’Egypte, mais je me vois perpétrer la mémoire de mes parents, et j’y arriverai !

Charmion enlaça la taille de Séléné et la serra contre elle avec la tendresse d’une mère, puis, lui lançant un regard plein d’admiration, murmura :

– J’en suis convaincue, mais sois prudente !

Puis elle évoqua les esclaves à qui elle avait demandé de préparer une litière et en qui elle n’avait pas vraiment confiance.

Séléné se fit charmeuse :

– Partons maintenant Charmion, tu dois faire ce qu’Isopé t’a demandé. Allons-y à pied car se promener en litière serait trop voyant et, tu as raison, les porteurs pourraient parler.

Séléné recouvrit sa tête d’un pan de tissu de son manteau. Charmion fit de même et la suivit. Elles passèrent la porte du haut mur de la maison qui donnait sur la rue, en parlant devant le garde, à voix très haute, du bon moment qu’elles allaient passer aux thermes.